THE WRONG BIENNALE 7, 2025/2026 / PERSPICAX

Commissaires d'exposition: Laurent Bouchard, Andres Manniste, et Joyce Yahouda

PERSPICACITÉ



Laurent Bouchard

En 2025, The Wrong Biennale à pour thème: l’intelligence artificielle qui s'impose comme une nouvelle réalité de notre époque. Cette thématique ouvre un champ vaste à l’exploration créative, offrant une toile de fond où les pratiques artistiques, qu’elles soient visuelles, vidéo ou textuelles, peuvent s’épanouir et se réinventer. Dans ce contexte, notre pavillon, intitulé « Perspicacité » / « Perspicacity », se métamorphose en un véritable laboratoire de recherche.

« Perspicacité » incarne notre volonté d’explorer comment les créateurs artistiques transcendent les limites du sens et de la perception générale. En tant que commissaire et artiste, je ressens une immense joie à l’idée de voir avec quel enthousiasme les artistes répondent à notre invitation à repousser les frontières de la création.

Je tiens à exprimer ma profonde gratitude envers tous les artistes impliqués. Leur travail, que je connais et que j’admire déjà, est une source inépuisable d’inspiration. Je me réjouis à l’avance de découvrir leurs propositions, qui promettent d’enrichir cette nouvelle édition de la Biennale « The Wrong ».

À travers cette aventure, nous sommes appelés à redéfinir notre compréhension de l’art, à faire face à l’inattendu et à admirer la créativité humaine tout en étant conscient des dérives innévitables à l’ère de l’intelligence artificielle.



Andres Manniste

La perspicacité, ou « saisir », est une compréhension des choses qui mène au discernement. « Ne pas saisir » vient souvent de généralisations erronées face aux nouvelles situations. « Saisir » va au-delà des faits réels ou même de la capacité à les expliquer. C'est le moment où les pièces du puzzle s'assemblent, où la compréhension se transforme en réalisation – la différence entre savoir la définition d'une métaphore et reconnaitre soudainement comment cette image mentale a complètement transformé votre perspective.

Regarder l'art en ligne devrait être certainement pas sans intérêt, l’oeuvre doit à même temps créer un espace visuel parallèle à celui auquel les internautes sont habitués. Les images d’habitude sur Internet présentent une homogénéité frappante, façonnée par les algorithmes et les tendances du design, faisant écho à la photographie de ses débuts, où, malgré les limites techniques, une distinction s'est déjà imposée entre une image instantanée, l’ordinaire et l’œuvre d’art. En ligne, l'expression originale se manifeste par la compréhension et la réinterprétation de dialogues dominants au sein de beaucoup de répétitions.

L'art en ligne a toujours reflété l'architecture des réseaux, façonnant la perception et l'image de soi-même à travers les surfaces réfléchissantes des sites web ou des réseaux sociaux. Dans cet espace, l'interactivité implique l'écoute, la synthèse des informations et la réponse ; c’est une dynamique qui entretient l'engagement et définit la communication en ligne. Cependant, cette participation déforme souvent la vérité, érodant progressivement toute impression de réalité stable. Au fur et à mesure que les interactions numériques façonnent de plus en plus notre compréhension, les « vérités » organisées et construites par les algorithmes semblent plus authentiques que les faits objectifs. Autrefois défenseurs de la liberté d'expression, les plateformes internet apparaissent fonctionner comme des systèmes de contrôle axés sur la surveillance, l'extraction de données et la manipulation algorithmique. Les artistes naviguent sur ce terrain avec appréhension, rivalisant de visibilité au gré des tendances et des paramètres d'engagement. Pourtant, malgré ces contraintes, les outils numériques recèlent un immense potentiel créatif, offrant des espaces d'innovation qui transcendent les pressions commerciales.

Historiquement, l'évolution de la communication sur internet a été façonnée par un engagement général en faveur de la transparence et de l'ouverture. Tim Berners-Lee a conçu le HTML afin de garantir le principe d'accès universel et de participation décentralisée. Bitcoin a introduit un système décentralisé et pair-à-pair grâce à la technologie blockchain, et les NFT ont étendu cette décentralisation à l'art numérique et à la propriété des œuvres électroniques. OpenAI, créée en tant qu'organisation à but non lucratif, s'est concentrée sur l'intelligence artificielle générale sûr et bénéfique, encourageant la recherche open source (source ouverte), le discours éthique et une grande accessibilité.

En tant qu'artistes, notre engagement, parmi les choses, consiste à exprimer une dimension sociale, un sentiment d'appartenance et une dimension ludique qui contrecarre la banalité d'une culture matérialiste. Le réseau de communications électroniques offre un accès sans précédent à un public divers, mais dans cette ouverture, les artistes s'engagent souvent dans un partage sélectif de leurs oeuvres ou en construisant une identité en présentation de soi-même au lieu d’exposer une vulnérabilité.

L'avantage de l'art en ligne réside à la fois dans l'échange direct avec le spectateur et dans le fait que l'œuvre touche simultanément un public plus large que dans une galerie physique. Finalement, toute œuvre créée pour le réseau reflètera inévitablement l'architecture conceptuelle et l'esthétique évolutive des réseaux électroniques qui la véhiculent.

Quels sont les critères de participation ? Nous souhaitons que l'exposition soit inclusive. La Biennale wrong est une biennale d'art indépendante, à but non lucratif, multiculturelle, décentralisée et collaborative, créée pour présenter l'art numérique à un public international. Bien que la 7e édition soit largement consacrée à l'exploration du potentiel artistique de l'intelligence artificielle, nous proposons un évènement en ligne qui exprimera que, avec ou sans AI, les réseaux de communication sont devenus un des principaux moyens de conception, de dialogue et de distribution pour l’artiste visuel.



Joyce Yahouda

Pour cette 7ᵉ édition de la biennale internationale d’art numérique en ligne, The Wrong Biennale met l’IA au centre de son attention — non seulement comme outil technologique, mais aussi comme moteur d’innovation, d’inclusion et de nouvelles formes d’expression artistique.

Dans ce contexte, chaque commissaire est invité à concevoir un pavillon autour d’un thème lié à l’IA. Avec mes collègues Laurent Bouchard et Andres Manniste, nous avons choisi d’appeler notre pavillon Perspicax. Ce terme, issu de perspicacité et du latin perspicax (« voir à travers »), désigne la capacité à percevoir au-delà de l’évidence, à saisir ce qui est caché, subtil ou complexe.

Le pavillon Perspicax, en tant qu’espace d’expérimentation artistique, devient une plateforme de réflexion, de jeu, de détournement et d’invention poétique.

Perspicax réunit 35 artistes, dont les œuvres explorent le fonctionnement de l’IA — ses processus algorithmiques, ses biais, sa mémoire, ses fictions générées, la coécriture homme-machine et la mémoire numérique. Nous avons invité les artistes à intégrer l’IA à un moment de leur processus de création — qu’elle en soit l’outil, le sujet, la contrainte ou même l’alter ego.

Nous avons reçu des œuvres visuelles, textuelles, sonores, interactives et immersives qui abordent l’IA avec subtilité, créativité, perspective et sens critique. Certaines la détournent, d’autres la questionnent ou la subliment — et, ce faisant, elles interrogent les fondements mêmes de notre rapport à la technologie, à la création et à l’humain.

Pourquoi l’IA, pourquoi la perspicacité ?

Parce que nous vivons dans un monde mené par l’IA, un monde saturé de données, d’images générées et de réponses automatisées. La perspicacité nous aide à garder un esprit critique et à résister à la confusion.

Le doute… sans cesse

Dans un univers envahi par les fausses nouvelles, l’IA amplifie la cacophonie visuelle, sonore et intellectuelle. Chaque jour, nous sommes confrontés à des images, des récits et des voix dont la véracité est devenue incertaine. Comment savoir ce qui est vrai, fabriqué ou manipulé ? Comment réagir face à cette avalanche de nouvelles — sociales, politiques, personnelles — qui ébranle nos repères ?

« Je l’ai vu de mes propres yeux… » Vraiment ? Quand les images sont retouchées, recréées, détournées pour nourrir notre imaginaire d’artefacts trompeurs.
« Je l’ai entendu de mes propres oreilles… » Vraiment ? Quand une voix synthétique, parfaitement imitée, peut affoler une grand-mère qu’on alerte d’un danger fictif pour son petit-fils. Elle reconnaît pourtant cette voix — mais est-ce encore lui ? Est-ce l’IA qui devient le messager de la peur, de la confusion et de l’usurpation ?

Même nos pensées et nos idées ne sont plus à l’abri : aspirées, recodées, reprises sans autorisation. Nos récits nous échappent. Et dans cette tempête, les politiciens eux-mêmes manipulent, propagent des idées dangereuses, justifient la guerre, sèment la méfiance.

L’IA est en train de transformer notre monde : elle change nos façons de communiquer, de créer et de nous informer. Elle inquiète, mais elle fascine aussi. Au cœur du doute demeure la promesse d’une ouverture, la possibilité d’un espoir.

La lumière… en promesse

La perspicacité face à l’IA, c’est la vigilance et le discernement appliqués dans de multiples domaines.

En médecine comme en science, l’IA peut inquiéter par son intrusion et les masses de données qu’elle génère, difficiles à comprendre. Pourtant, la perspicacité y révèle des promesses : accélérer la recherche, identifier des traitements, ouvrir de nouvelles voies d’exploration.

En art, l’IA peut sembler menacer l’unicité du geste créateur. La perspicacité consiste à dépasser cette crainte pour l’aborder comme un partenaire de jeu inattendu — agaçant parfois, surprenant souvent, mais toujours porteur de nouvelles pistes de réflexion. Avec lucidité, les artistes de Perspicax examinent les bouleversements engendrés par l’IA et cherchent à trouver de nouvelles manières de partager et de créer.

C’est pourquoi Perspicax...

Grâce à la perspicacité, l’IA cesse d’être une menace pour devenir un espace d’invention. Utilisée sans naïveté ni aveuglement, elle devient un outil d’accompagnement et de soutien, un regard lucide qui transforme la déstabilisation en illumination et la contrainte en libération.

 

 

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